La mode c’est génial. I love la mode.
Par exemple, la mode en ce moment concernant le handicap c’est de manier avec dextérité le mot « inclusion. »
Je ne suis malheureusement pas assez savante[1] pour vous dire à quelle date exactement, et par quelle magie, ce mot s’est progressivement imposé pour remplacer celui qui était utilisé auparavant, c’est à dire, si ma mémoire est bonne… le mot : intégration.
Oui, on parlait de la nécessité « d’intégrer » les personnes handicapées dans la société.
Quelle différence entre intégration et inclusion ?
Nous pourrions nous référer au rapport Taquet relatif à la simplification du parcours administratif des personnes en situation de handicap, rendu il y a quelques mois par un député LREM, puisqu’il indique dans sa synthèse introductive qu’il a choisi de s’ancrer dans une vision de la société : « cette vision est celle de la société inclusive. »
Mais encore… qu’est-ce qu’un société inclusive ? Je pensais, comme vous peut-être, que ce rapport allait me l’expliquer et bien… non.
Ce dernier poursuit et précise en effet, page 13 : « Notre rapport n’a ni vocation ni prétention à constituer la pensée de ce que doit être une société inclusive, ni un modus operandi pour y parvenir[2]. »
Ok. Si je saisis correctement, ce rapport (et la politique du gouvernement qu’il vient soutenir) s’inscrit dans une vision de la société, un objectif, qu’il ne sait pas définir et à laquelle/auquel il ne sait pas comment parvenir.
Intéressant[3].
Pour savoir ce qu’est l’inclusion et ce qui la différencie de l’intégration, le dictionnaire Larousse en ligne est d’un plus grand secours. Il nous donne les définitions suivantes :
Intégration : Action d’intégrer ; fait pour quelqu’un, un groupe, de s’intégrer à, dans quelque chose.
Inclusion : Action d’inclure quelque chose dans un tout, un ensemble ; état de quelque chose qui est inclus dans autre chose.
Vous avez compris la distinction ? Moi bof. Je comprends vaguement que peut-être quand t’es inclus, il est pas exclu qu’à la base tu faisais partie de l’ensemble, alors qu’intégration, tu faisais pas partie du groupe mais t’as fait tout ce qu’il fallait pour y être, un peu comme quand tu t’incrustes à une soirée.
Intégration suggère aussi qu’il s’agit plutôt à ceux qui sont extérieurs au groupe initial de faire le taf pour y entrer, tandis qu’inclusion laisse entendre que c’est à ceux qui y sont déjà de faire le nécessaire. Je crois.
Un jour sur Facebook, il doit y avoir à peu près 5 ans, j’ai vu passer ce schéma…
Et là – paf ! – j’ai tout mieux compris. Tout est devenu limpide. Mais bon sang, mais c’est bien sûr. C’est clair comme de l’eau de la Seine !
L’intégration, écoute bien : t’es dedans, avec les autres, mais dans un coin à part sans être vraiment dedans, alors que tu crois que t’es dedans, mais non, alors que l’inclusion… bien… c’est très différent. T’es totalement DEDANS, parmi les autres petits points, sans aucune sorte de séparation et… tu danses[4].
Pour ceux qui n’auraient toujours pas compris, ils ont même fait le même schéma avec les pictogrammes qui représentent les personnes handicapées, ceux qui représentent les hommes et les femmes et celui qui représente les personnes âgées, pour bien montrer que l’inclusion c’est quand on est tous ensemble together.
Inclusion c’était donc le vrai bon mot. Le mot parfait ! Tout le monde l’a compris et donc repris. Il a commencé à être utilisé de plus en plus souvent par tous (je m’y suis mise aussi car j’aime la mode) et inéluctablement par les responsables politiques.
Le problème quand un mot est repris par des responsables politiques est que par un phénomène très étrange, que je ne m’explique pas, mais qui doit forcément être depuis longtemps étudié en haut lieu… il perd instantanément son sens.
Plus il est utilisé, plus il se vide de tout contenu. Il devient une coquille molle et vide.
A ce jour, le mot inclusion ne veut presque plus rien dire. Il est utilisé par n’importe qui, n’importe comment pour faire woke. Il est accolé à tout et même à des dispositifs qui sont tout sauf inclusifs comme « l’habitat inclusif » (la vaste blague dont on a déjà parlé ici).
J’en suis arrivée à me demander si je dois moi-même continuer à utiliser ce mot[5], tellement surfait (so 2015), tant il a été détourné par ceux qui travaillent à notre exclusion.
Ce changement de sémantique n’a de surcroît rien modifié à notre situation qui, vous le savez, se dégrade de jour en jour.
Depuis sa nomination comme secrétaire d’Etat au handicap, Madame Sophie Cluzel a beau placer le mot inclusion à toutes les sauces dans chacune de ses phrases et chacun de ses tweets[6], ce n’est pas dans ce sens que tend sa politique et les mots n’étant pas auto-réalisateurs (et non Sophie, et non…) ça coince.
Néanmoins, ne soyons pas vache, à défaut de réaliser l’inclusion on pourra dire que Sophie Cluzel aura grandement œuvré à la décomposition de ce mot, ça personne ne pourra le nier. Merci à elle.
[1] Je suis une autodidacte du handicap.
[2] C’est d’ailleurs page 13 que j’ai eu mon premier fou rire en lisant le rapport. Heureusement qu’on se marre.
[3] On est pas dans la m… ayonnaise
[4] C’est comme ça que je l’envisage. A la fin les gens dansent tous ensemble. Un ami m’a fait découvrir un jour cette superbe phrase d’Emma Goldman, activiste anarchiste : « Si je ne peux pas danser, je ne veux pas faire partie de votre révolution. » Je suis à 100% avec elle.
[5] Quelqu’un sur twitter avait proposé un jour de remplacer les mots comme « intégration » et « inclusion » par « fin de la domination. » C’est une idée qui mérite d’être étudiée. Tout ce qui présente l’avantage de compliquer la récupération politique mérite d’être étudié.
[6] J’ai fait une petite sélection de tweets. J’ai mis les plus sympas et je ne suis remontée que sur les quatre derniers mois, parce que #flemme, mais y’en a plein d’autres, vous pouvez jouer à les compter aussi.