A l’audience et ici «je serai brève » sur la nomination d’Eric Dupond-Moretti au poste de ministre de la Justice que je souhaite aborder, si possible, avec sérénité [1].
Je tiens à préciser préalablement sans animosité que je n’ai aucune admiration spéciale pour Eric Dupond-Moretti et j’ajouterais, afin que nous puissions tous nous détendre entre Confrères, que je n’ai aucune admiration pour aucun.e de mes Confrères ou Consoeurs [2] (même pas pour Henri Leclerc ou Robert Badinter, c’est dire la sal*** hystér**** que je suis).
En effet, il me semble qu’au Barreau (et dans la vie) nous sommes tous et toutes à égalité, quel que soit notre degré de médiatisation, notre chiffre d’affaires ou notre classement dans Le Point. Toutes les oppressions débutent avec la hiérarchie. Par ailleurs, si je commence à admirer et à me laisser impressionner par le Confrère avec sa grosse voix qui plaide en face de moi, comment gagnerais-je mon dossier ? Etre avocat.e, c’est ne se laisser impressionner ni par le juge, ni par l’adversaire, ni par le client, ni par personne.
Eric Dupond-Moretti a donc été nommé ministre de la Justice.
Une nomination qui a suscité la colère des féministes et des victimes de violences sexuelles puisqu’elle s’accompagnait, en plus, de la nomination de Gérald Darmanin [3] comme ministre de l’Intérieur. Emmanuel Macron ayant cru bon de mettre au gouvernement deux hommes dont les discours et les comportements à l’égard des femmes sont mis en cause.
Concernant Eric Dupond-Moretti, il est de mauvaise foi de prétendre qu’il lui serait reproché d’exercer son métier ou les clients qu’il aurait défendus. Ce qui est pointé sont ses arguments (toutes les argumentations sont des choix politiques), ses méthodes [4] et par dessus tout : les propos tenus en dehors de ses dossiers au sujet de #MeToo et des actions féministes de ces dernières années.
En pleine épidémie, alors que nous avoisinions les 30 000 morts dans un pays épuisé, la nomination d’Eric Dupond-Moretti au ministère de la Justice était-elle un décision politique sensée et supposée apaiser les tensions existantes, exacerbées par la crise sanitaire ? Une crise que les femmes en général, et les plus précaires en particulier, ont subie de plein fouet.
Je ne crois pas.
Cette décision est en elle-même irresponsable, destinée à diviser et à mettre de l’huile sur tous les feux.
Au Barreau de Paris seul, il y a plus 29 000 avocats. N’y avait-il personne d’autre, d’aussi compétent qu’Eric Dupond-Moretti, pour occuper ce poste dans un climat plus calme ?
Si le but était de mettre un homme avocat à la tête du ministère de la Justice, pourquoi ne pas avoir nommé par exemple, au hasard, Henri Leclerc justement. S’il en est avocat admiré, vénéré et qui aurait fait la quasi-unanimité dans la profession ne serait-ce pas lui ?
Henri Leclerc a 86 ans, c’est vrai, mais ne soyez pas âgiste, il reste très actif. Il est sans doute moins connu à l’heure actuelle par le jeune grand public qu’Eric Dupond-Moretti, toutefois, le parallèle n’est pas inintéressant… Henri Leclerc, à l’instar de nombreux pénalistes, a défendu bien des hommes accusés d’agressions sexuelles ou de viols [5]. On compte parmi ses dossiers médiatisés, ceux de Richard Roman et de DSK [6].
Pour autant s’est-il répandu dans les médias avec un discours outrancier à l’encontre des femmes, ou même des victimes ? Un discours sans rapport aucun avec les dossiers dont il avait la charge. Les comparaisons sont toujours délicates, j’ai cependant fait une recherche. Quelque chose m’aura échappé mais je n’ai rien trouvé d’équivalent aux propos fielleux tenus par Eric Dupond-Moretti. Henri Leclerc respecte t-il davantage les femmes ? Est-il moins misogyne ? Sa haine des femmes est-elle inexistante, moins forte ou mieux dissimulée ? Je n’en sais rien. Dans tous les cas, il est suffisamment intelligent et prudent pour ne pas s’égarer sur RMC.
Vous le savez, il était hors de question pour Macron de nommer Henri Leclerc ou un Confrère semblable.
Tout d’abord, l’engagement à gauche d’Henri Leclerc est sans ambiguïté et n’a pas vraiment varié durant sa carrière. Or, ce gouvernement n’est pas de gauche. Ensuite, pour cette même raison, un homme comme Henri Leclerc n’aurait probablement jamais accepté un tel poste avec Macron pour Président.
Devant un journaliste, Henri Leclerc a d’ailleurs déclaré, en 2014, à l’idée d’une nomination comme ministre : « je n’aime pas le pouvoir. » Un homme ou une femme qui se garde du pouvoir, en voilà une personne sage à qui confier le pouvoir. Eric Dupond-Moretti avait, quant à lui, évoqué les couleuvres à avaler pour accéder aux fonctions suprêmes. Des couleuvres qui avec un peu d’ail et de sel passent finalement plutôt bien.
Lorsque je vois les soutiens de mes Confrères et Consoeurs à Eric Dupond-Moretti, lorsque je constate que mon propre syndicat [7] se fend d’un message positif sur les réseaux sociaux au sujet de sa nomination, je m’interroge aussi sur ce que cela dit de nous, de notre profession, au-delà du réflexe qui consiste à défendre « l’un des nôtres. »
Nous sommes une profession composée en majorité de femmes mais qui pour partie se reconnaît et espère en un homme qui tient des propos virulents contre… les femmes. Comment évoluer et avancer vers l’égalité en notre sein dans ces conditions ?
Nombre de Confrères et de Consoeurs s’inquiètent par la même occasion de « la dictature de l’émotion » qu’imposeraient les féministes et les victimes déclarées d’agressions sexuelles et de viols (des femmes et des enfants rappelons-le en grande majorité).
Cette question est également intéressante à mes yeux. Surtout pour quelqu’un comme moi qui me méfie tant des émotions, celles des autres et les miennes, et qui s’efforce de ne trancher aucun problème sous l’emprise de l’émotion. Je suis entièrement d’accord avec l’idée que l’émotion ne doit dicter ni la justice, ni les politiques, encore moins les émissions de télé (le Téléthon ça vous dit un truc ? Le Barreau de Paris s’y est associé plusieurs fois sans se poser plus de question quant à la place de l’émotion dans cette opération). Je place la raison au dessus de tout. Une raison non dénuée d’émotion car l’émotion est humaine. La raison ne doit pas primer mais elle doit être éclairée par l’émotion pour aboutir à une pensée et à des décisions qui ont du sens.
Dans cette affaire, il ne s’agit pas de faire triompher les émotions sur la raison ou le droit contrairement à ce certain.e.s de mes Confrères et de mes Consoeurs craignent.
Il s’agit d’admettre que cette nomination (et celle de Darmanin) est une provocation, un positionnement et une décision politique dangereuse.
Il s’agit de reconnaître et de combattre le caractère patriarcal non seulement du pouvoir en place, mais également de la justice et de notre profession.
Il s’agit d’aller vers plus de justice.
C’est bien là que se situe l’enjeu car nous le savons, à fortiori en tant qu’avocat.e.s, il ne peut y avoir de paix sociale sans justice.
NOTES
[1] Sinon je vais encore mal dormir cette semaine.
[2] J’espère que vous n’avez pas d’admiration pour moi non plus. Je n’ai rien d’admirable. L’admiration est un fantasme sans intérêt.
[3] Un homme accusé (mais non condamné et présumé innocent, je sais) de viol, au cas où vous seriez toujours confiné sans internet ou sans télé.
[4] Notre métier suppose l’instauration d’un rapport de force, nous sommes d’accord, mais inspirer la crainte est-ce convaincre ? Je n’ai pas la réponse à cette question, je propose ce thème à mes Confrères et Consoeurs pour la prochaine séance de la Conférence du stage (un concours d’éloquence prisé au Barreau de Paris et encore très… masculin).
[5] Et même de meurtres d’enfants. Tous les clients doivent pouvoir être défendus par un.e avocat.e, il n’est pas question de contester cela puisque c’est le principe même de la justice et qu’elle ne peut fonctionner autrement.
[6] Un homme charmant qui aime beaucoup les femmes paraît-il.
[7] Un syndicat de gauche aux dernières nouvelles.