JE MÉPRISE « LE MÉPRIS »

Hier soir, pendant que le twitter féministe était occupé à faire des listes d’autrices et d’œuvres crées par des femmes, moi la traîtresse, moi la rebelle, pour ne pas casser l’ambiance, j’ai décidé de voir un film écrit et réalisé par un homme : j’ai donné sa chance à un petit jeune.

J’ai regardé pas n’importe quel film. J’ai fait ma cinéphile. J’ai regardé un classique que je n’avais jamais vu et que je voulais rattraper depuis longtemps : « Le mépris » du grand, de l’éminent, Jean-Luc Godard, un chef d’œuvre (parait-il) du cinéma français. Bien mal m’en a pris. J’ai perdu 1h43 de ma vie.

Je resitue : « Le mépris » c’est un film avec Brigitte Bardot et Michel Piccoli. Il se passe dans le milieu du cinéma en Italie à Cinecittà. Il raconte -spoiler- (je cite wikipédia) « la déchirure, la désagrégation du couple. » Je me marre. Selon moi, ça raconte plutôt l’histoire d’une meuf que son mari maltraite, qui réalise que cette relation pue et qu’il faut qu’elle en sorte rapidos.

Les deux personnages masculins sont deux connards violents et les deux personnages féminins, deux victimes qui se font traiter comme de la merde (y’en a même une dont le dos sert de « table » pour signer un chèque).

Au bout de 20 minutes, j’avais déjà envie de prendre la batte que ma copine Tara a dans sa voiture [1] et « d’éliminer » – métaphoriquement- les deux personnages masculins principaux.

Dès le début Michel oblige sa femme Brigitte à monter dans la voiture de son patron : un producteur ignoble, stupide et agressif qui vient de tout casser dans la salle de projo dans un accès de rage et qui lorgne sur elle. Les embrouilles commencent…

A la 43ème minute de film, Brigitte de retour dans l’appart’ conjugal avec son mari se prend une torgnole. Est-ce que Brigitte prend une poêle Téfal pour l’assommer ? Non. Est-ce qu’elle appelle ses copines pour qu’elles viennent expliquer la vie à ce ****** ? Non.

Elle demande pardon à son mari, scénariste, d’être une dactylo de 28 ans avec qui il regrette de s’être marié.

10 minutes plus tard, alors qu’il vient de lui mettre une baffe, le mec demande le plus sérieusement du monde à sa femme : « qu’est-ce que j’ai fait ? Pourquoi t’es de mauvaise humeur ? Je me demande vraiment ce que j’ai fait. T’es devenue méchante tout à coup. »

Ahahah. Quel génie du dialogue ce Godard ! Ahaha. Pardon, c’est nerveux.

20 minutes après (et un Lexomil plus tard pour moi) Brigitte se fait de nouveau violenter (et elle se défend un peu quand même. Heureusement, j’en pouvais plus) mais pendant tout le film le gars l’interroge : « Pourquoi tu me méprises ? » Euh… On se le demande, en effet… le mystère est intenable.

Ok, Brigitte, enfin Camille (le personnage), elle est chiante (comme toute les femmes écrites et fantasmées par des hommes). Elle est lunatique, elle change d’humeur et elle se contredit toute les 5 minutes et, le plus gênant selon moi, elle parle de cette façon irritante, un peu comme… Brigitte Bardot ? Cela dit difficile d’en vouloir à Camille ou à Brigitte ou à n’importe quelle autre femme dans sa situation. Avec un mec pareil dans les parages quelle meuf pourrait aller bien ?

Un truc drôle quand même, le seul, y’a une actrice obligée de jouer la traductrice tout le long film parce que Brigitte et Michel, manque de bol, ils sont comme moi, ils ne parlent pas vraiment anglais.

Je me suis faite violence pour voir ce truc jusqu’à la fin. J’ai lutté, vous n’imaginez pas. Quelle souffrance mes aïeux, quelle souffrance… Et cette musique absolument in-su-ppor-table du début jusqu’à la fin.

Même le vieux Fritz Lang (qui joue son propre rôle), j’ai l’impression pendant tout le film qu’il se demande ce qu’il fout là. J’avais de la peine pour lui. « Fritz tu vas t’en sortir, je te jure. Plus que que 10 minutes, tiens bon, je suis avec toi. Tu veux un Lexomil ? »

Je ne vous raconte pas la fin mais Brigitte elle fait mieux la morte que Marion à mon avis.

Le mépris c’est soi-disant le mépris injuste et incompréhensible que Camille éprouve subitement pour son mari et qui le fait atrocement souffrir. Ce n’est évidemment pas celui de son mari pour elle, alors qu’il est palpable et bien plus grave. D’ailleurs quand il annonce sa mort, il a l’air aussi ému que s’il avait perdu une chaussette…

Bref, violences masculines, mises en abyme et réflexions pseudo-philosophiques à deux balles sur le cinéma, les fesses de Brigitte, les fesses de Brigitte, les fesses de Brigitte : j’ai donc vu « Le mépris. » Un film culte du cinéma français, énième récit d’un pauvre homme « victime » d’une femme trop belle, indécise et compliquée qui mérite des baffes et son funeste sort.

Photo N&B de Godard et de Michel Piccoli qui marchent aux côtés de Brigitte Bardot (qui n'a pas l'air bien) sur le tournage.

Le film porte bien son nom néanmoins. J’y ai bien vu le mépris de Godard pour les femmes, le mépris des cinéastes masculins pour les femmes, le mépris des hommes pour les femmes. Ce mépris auquel certaines femmes cherchent à échapper, entre autres pour se préserver, en choisissant de privilégier les productions culturelles féminines. Comme je les comprends.

Une démarche étonnante, scandaleuse et criminelle apparemment, dénoncée notamment par des hommes qui ne supporteraient pas le quart de la violence qu’ils nous infligent dans leurs œuvres et tourneraient de l’œil au bout de deux secondes si on inversait les rôles et qu’ils se voyaient prendre des torgnoles à tout va, se faire dénuder, violer, insulter, humilier, massacrer dans 90% des films, des livres, de toutes les œuvres disponibles [2]. Parce qu’en plus de nous faire vivre cette violence dans la réalité, ces hommes voudraient que l’on continue à se la coltiner indéfiniment via leurs productions répétitives sur ce thème et avec le sourire pour ne pas gâcher la joie qu’ils ont à mettre en scène notre anéantissement physique et psychologique.

Pour contrebalancer la bouse de Godard et ses effets dévastateurs sur mon moral, je me félicite d’avoir regardé, cette semaine également, « Les proies » de Sofia Coppola. J’adore les films en costumes bien que je ne sois pas méga fan de Sofia Coppola. Pourtant celui-là, je l’ai beaucoup aimé, surtout la fin. Il m’a donné envie d’aller cueillir quelques champignons…  


[1] Problème, la voiture est un peu loin. Elle est dans le Périgord.

[2] Je propose aux hommes qui ne me croient pas de commencer à être attentifs, à compter les actes de violences contre les femmes dans les films, les séries, à chronométrer comme moi : à quelle minute arrive la première baffe qui passe tranquille comme une lettre à la Poste ?