JEAN-JACQUES GOLDMAN : CE GROS MACHO (QUE JE KIFFE)

A la demande générale (suite au post que j’ai publié sur facebook pour mon anniversaire), voici mon texte sur le machisme dans les chansons de Jean-Jacques Goldman.

Message de service : pour les besoins de la blague, nous appellerons dans le présent texte Jean-Jacques Goldman par son petit nom. Jean-Jacques ne m’en voudra pas. C’est presque un ami.

L’idée de cette étude approfondie m’est venue il y a quelques temps en réécoutant ses principaux tubes (j’ai une vie passionnante, je vous le dis) et notamment la très célèbre chanson Là-bas.

Tout monde connaît la chanson Là-bas (si [1]). C’est un duo avec Jean-Jacques Goldman et la chanteuse Sirima. En résumé, ça parle d’un mec qui veut immigrer pour avoir une meilleure vie et que la copine cherche à retenir. Il donne l’impression d’une discussion mais le déséquilibre entre les deux personnages du fait de leur sexe est total. C’est la fête des stéréotypes de genre.

Si vous écoutez attentivement cette chanson, il se passe ceci : pendant que l’homme déroule un discours individuel, mais également politique, de la plus haute importance pour expliquer son choix et justifier son départ (seul sans sa fiancée), à votre avis, que fait cette dernière ?

Elle essaie de le convaincre de ne pas partir, vous le savez. Pourquoi pas, j’ai envie de dire, mais le hic ce sont ses arguments pour le retenir. Ils ne vont pas chercher très loin.

– Elle essaie de l’effrayer (malin) :

Y’a des tempêtes et des naufrages. Le feu, les diables et les mirages. 

– Elle lui dit aussi qu’elle le connaît, il tiendra pas deux secondes (il est malade en avion) :

Je te sais si fragile parfois. 

– Elle lui parle de sexe (nan mais y’en a là-dedans, dans la caboche, qu’est-ce que vous croyez !) :

On a tant d’amour à faire.

Dans le clip, quand elle dit ça, elle ouvre sa chemise de nuit automne-hiver 1860, je pense que c’est assez explicite.

– Elle lui parle de faire des enfants :

Tant de bonheur à venir. 

 Oué, il y a des gens qui pensent que les gosses, c’est le bonheur.

– Elle lui parle de mariage :

Je te veux mari et père. Et toi, tu rêves de partir. 

En plein dans le mille ! Le personnage féminin de la chanson ne rêve que d’un truc : le mariage et les enfants. On la voit dans le clip tripper dans sa robe de mariée alors que… c’est foutu ma poule, il veut se barrer.

Le mariage est donc l’unique but de sa vie. Elle n’a visiblement pas d’autre opinion sur la situation et le choix qu’il est train de faire soi disant pour leur couple. Elle a encore moins d’avis sur les causes et enjeux de l’immigration économique en Europe.

A un moment dans le clip, pour qu’on comprenne bien, on la voit étendre le linge pendant que lui, Môsieur lit une revue stupide qui lui fait croire que les rues de Là-bas sont pavées d’or et s’assoupit. Il ne lui viendrait manifestement pas à l’idée de filer un coup de main pour le linge. Ce n’est pas à lui de faire ça, c’est à bobonne. Le linge, c’est son rôle, elle le sait. Elle kiffe, elle veut faire ça toute sa vie.

– Elle lui dit qu’elle a peur de le perdre :

Loin de nos vies, de nos villages.

J’oublierai ta voix, ton visage.

J’ai beau te serrer dans mes bras

Tu m’échappes déjà, là -bas

Bon, c’est le seul argument solide à mon avis, si elle l’aime, mais la suite est naze…

Après avoir épuisé toutes ses cartouches pour qu’il ne parte pas, elle finit par le supplier : « N’y va. T’en va pas. »

La supplique c’est le truc que je supporte le moins dans cette chanson et c’est quand même le refrain attribué à la femme. En plus, la fille supplie pendant que le personnage masculin lui parle doctement des raisons sociales qui motivent son départ [2] :

Ici tout est joué d’avance

Et on y peut rien changer

Tout dépend de ta naissance

Et moi je suis pas bien né

(…)

J’aurai ma chance, j’aurai mes droits

Et la fierté qu’ici je n’ai pas

Tout ce que tu mérites est à toi

NB : classieux le mec qui te dit que tu peux prendre ce qui t’appartient.

Ici, les autres imposent leur loi

(…)

La vie ne m’a pas laissé le choix

Toi et moi, ce sera là-bas ou pas

Traduction : c’est lui qui commande.

La fille n’a rien d’autre à répondre à son exposé que des pleurnicheries. Il est dans la réflexion et elle dans l’émotion.

Le plus triste c’est que la méthode de la supplication est pourrie. Preuve en est que le mec part quand même. Le message est clair : il en a rien à foutre d’elle et ne fait rien pour la rassurer. D’ailleurs, il lui dit : « je te perdrais peut-être là-bas, je me perds si je reste là. » Si avec ça, vous n’avez pas compris que c’est de sa pomme dont il est question.

Elle aurait peut-être dû essayer une autre stratégie pour le retenir, genre : « mec, on s’est pas bien compris je crois, tu restes ! » Quoi que… celle-là est un peu nulle. Elle ressemble à son discours égoïste à lui. Ou alors… « C’est pas un peu la merde ici ? Là-bas ça à l’air mieux. On pourrait y aller tous les deux ENSEMBLE. » Oui, l’immigration, ce n’est pas aussi simple. Je suis au courant merci. C’était juste pour imaginer une alternative. Elle pourrait lui dire aussi « D’accord, vas-y. Bye. Envoie moi une carte postale », mais non elle reste dans un rôle passif. Elle subit le choix de son copain.

En dehors de la chanson Là-bas, il y a pas mal d’autres chansons épineuses dans lesquelles on décèle un machisme certain de la part de Jean-Jacques.

Par exemple, il y a au moins trois chansons qui parlent de pauvres filles niaises qui attendent le Prince charmant et se retrouvent seules comme des connes.

Nous avons, dans Tournent les violons, la jeune domestique en fleur qui ne se remet jamais du fait qu’un bourge au « sourire éclatant d’un Prince charmant», lui ait frôlé la hanche en lui disant qu’elle était jolie :

En prenant son verre auprès d’elle il se penche

Lui glisse à l’oreille en lui frôlant la hanche

« Tu es bien jolie » dans un divin sourire

(…)

Elle y pense encore et encore et toujours 

Les violons, le décor, et ses mots de velours

Son parfum, ses dents blanches, les moindres détails


En dehors de ces quelques secondes de bonheur, elle a une vie de merde nous détaille Jean-Jacques, et le pire c’est qu’elle ne sait même pas que le Prince charmant ne s’intéressait pas du tout à elle. Il a fait ça parce que c’est un gros dragueur :

Juste quatre mots, le trouble d’une vie.

Juste quatre mots qu’aussitôt il oublie.

Nous avons également une chanson sur celle qui attend le Prince charmant et on ne sait pas trop quoi d’autre, mais ce qui est certain c’est qu’Elle attend et qu’elle ne semble pas beaucoup plus futée que la précédente.

Jean-Jacques nous explique qu’elle lit trop de fadaises :

Et elle regarde des images

Et lit des histoires d’avant

D’honneur et de grands équipages

Où les bons sont habillés de blanc

Et elle s’invente des voyages

Entre un fauteuil et un divan

D’eau de rose et de passion sage

Aussi purs que ces vieux romans

Aussi grands que celui qu’elle attend

Enfin, nous avons la vieille fille sur le point d’atteindre la date limite de consommation dans La vie par procuration.

C’est la femme qui n’a pas su s’ouvrir aux hommes et finit seule à vivre sa vie à travers les magazines [3]. Elle en crève, évidemment, car sans homme la femme meure à petit feu :

Le temps qui nous casse, ne la change pas

Les vivants se fanent, mais les ombres pas

Tout va, tout fonctionne, sans but sans pourquoi

D’hiver en automne, ni fièvre ni froid

Traduction : elle à l’air vivante mais elle est morte inside.

Des crèmes et des bains qui font la peau douce

Mais ça fait bien loin que personne ne la touche

Des mois des années sans personne à aimer

Et jour après jour l’oubli de l’amour

Traduction : si t’as pas de mec, Jean-Jacques ne voit pas l’intérêt de se mettre de la crème. Okay…

Ses rêves et désirs si sages, et possibles

Sans cri, sans délires sans inadmissible

Sur dix ou vingt pages de photos banales

Bilan sans mystères d’années sans lumière.

Elle est dead je vous dis ! DEAD. Et ça ne date pas d’hier.

Etrange comme vision des choses, parce que je connais une tonne (mais une tonne) de femmes hétéros belles et brillantes, de tout âge, qui n’ont pas de mec et je trouve qu’elles n’ont pas l’air d’aller plus mal que celles qui sont en couple. Mais bon… Jean-Jacques ne les connaît peut-être pas.

Nous avons également des chansons qui, à première vue, sont à la gloire des femmes libres, modernes et indépendantes, mais y’a toujours un mais…

Dans Elle a fait un bébé toute seule, Goldman décrit une femme qui a décidé d’être mère célibataire.

Pour commencer, il remet en cause son choix qu’il attribue à une mode :

C’était dans ces années un peu folles

Où les papas n’étaient plus à  la mode

Elle a fait un bébé toute seule

Il a bien le droit d’avoir son avis sur la question, mais c’est à la fin de la chanson que ce couplet fait sens (il est « légèrement » amoureux d’elle).

Après, il décrit la vie de cette fille qui se trouve être son amie. Sans mec, il nous raconte qu’elle galère pas mal :

Et elle court toute la journée

Elle court de décembre en été

De la nourrice à  la baby-sitter

Des paquets de couches au biberon de quatre heures

Et elle fume, fume, fume même au petit déjeuner

(…)

Elle défait son grand lit toute seule

Elle défait son grand lit toute seule

Elle vit comme dans tous ces magazines

Où le fric et les hommes sont faciles

Elle défait son grand lit toute seule

Et elle court toute la journée

Elle court de décembre en été

Le garage, la gym et le blues alone

Et les copines qui pleurent des heures au téléphone

Elle assume, sume, sume sa nouvelle féminité

Sur la dernière phrase là : « Elle assume, sume, sume sa nouvelle féminité », vous avez bien compris qu’il se fout de sa gueule et n’y croit pas du tout.

Le problème c’est qu’il n’y a pas que les femmes seules avec enfants qui courent toute la journée. Les femmes avec enfants, qui sont avec des hommes qui ne les aident pas à étendre le linge, par exemple, courent pas mal aussi…

Mais le pire de tout, c’est la chute :

Elle m’téléphone quand elle est mal

Quand elle peut pas dormir

J’l’emmène au cinéma, j’lui fais des câlins, j’la fais rire

Un peu comme un grand frère

Un peu incestueux quand elle veut

STOP !!! On s’arrête sur cette phrase. Le mec pas du tout intéressé… qui sait donner de sa personne quand il le faut. Atroce. Soit t’es son frère et tu la touches pas. Soit t’es pas son frère et tu traines dans les parages pour une bonne raison. Arrête de mentir.

La morale de cette chanson est, qu’en vrai, elle est seule mais elle a besoin de lui. Le sex-friend salvateur toujours là quand il faut. Et franchement, en faisant son bébé toute seule, elle a déconné. Dieu sait ce qu’elle deviendrait s’il n’était pas là, nous dit-il, au fond.

Ensuite nous avons, Les filles faciles.

Une perle. Déjà rien que le titre. Donc il existe des filles faciles, celles qui couchent easy, gratos, sans faire chier le monde, et qui s’opposent à celles qui disent non, refusent, qui font payer (d’une façon ou d’une autre), sont « difficiles », prise de tête et avec qui il faut ramer quoi ! Sans garantie aucune ! Les garces !

Celles qui marchandent pas leur corps

Ni pour des mots ni pour de l’or

Pour qui faut pas tout un débat

Ni pour leur haut ni pour leur bas

Pour quelques notes de guitare

Elles dormiront un peu plus tard

NB : Les mecs avec une guitare au lycée m’ont toujours semblé louches… J’ai toujours su à quoi servait la guitare. Elle sert à emballer les filles qui aiment le style musicien, artistes plus ou moins torturés. Chacun ses fantasmes.

Dans cette chanson Jean-Jacques a l’honnêteté de dire qu’il s’agit de remercier les meufs qui ont couché avec lui sans problème avant qu’il soit connu (sic) et de réhabiliter « celles que l’on appelle les filles faciles » que les machos appellent aussi communément des « salooooopes ».

Alors, alors… on va pas reprendre toutes les théories féministes depuis le début (j’en serais bien incapable), mais la figure de la sainte et celle de la salope… La critique de la femme seule avec ou sans enfant, qui n’appartient à personne, la femme « suspecte. » bref, rien de neuf que du vieux.

Voilà. Le plus grave c’est que… j’adore Goldman. Bah ouais. Il est choupi [4] et il écrit bien. Je suis capable de vous chanter par cœur les chansons dont je vous parle.

Ça m’a foutu un gros coup quand j’ai réalisé pourquoi j’ai toujours ressenti un malaise en écoutant les paroles de Là-bas (faut pas me demander de faire la fille au karaoké, parce je rigole quand elle dit « T’en vas pas », tellement je trouve le refrain ridicule), ou les paroles de La vie par Procuration qui m’a traumatisée quand j’étais jeune.

Mes chansons préférées de Jean-Jacques ne sont pas celles-là.

Ce sont celles qui parlent d’amour plus subtilement, d’amitié, de la vie en général et dont les paroles sont unisexe. Par exemple, Pas toi ou à A nos actes manqués tout être humain peut se retrouver dans les paroles. Heureusement, il y en a beaucoup comme ça.

Et surtout… mes préférées de chez préférées ce sont celles qui parlent de politique et d’injustice sociale de façon hyper accessible (il est doué le Jean-Jacques quand il veut), comme Envole-moi, Il changeait la vie, Etre le premier et celles qui donnent envie de se battre comme Au bout de mes rêves [5].

Pour finir un message pour Jean-Jacques (peux pas m’en empêcher) : je vous aime bien et j’espère vraiment que vous avez évolué sur ces questions au sujet des femmes.

Au besoin, faites-moi signe, avec des copines on peut tenter de vous faire une biblio de bouquins féministes de qualité. Ça va piquer un peu au début mais il y’a des hommes qui s’en sont remis, juré.

Bisous.

 

NOTES

[1] Sinon vous êtes jeunes. Trop jeunes. C’est pas cool pour les vieux.

[2] Agrémentées de quelques délires sur l’Eldorado qu’il pense trouver Là-bas.

[3] Les femmes ne devraient pas lire. Elles ne lisent que des bêtises.

[4] Dans la vraie vie je n’utilise pas ce mot mais je le trouve drôle. J’avais une copine qui disait toujours ça des mecs mignons qu’elle croisait. Il est « choupi. » ça me faisait rire.

[5] Quoi ? Tu aimes cette chanson gnangnan après ce que tu as écrit sur handicap et rêve ? Alors, déjà c’est pas gnangnan, c’est Jean-Jacques Goldman, et ensuite, je n’ai jamais dit que les personnes handicapées n’avaient pas de rêve, mais juste que tout ce qu’elles font comme projet ne relève pas forcément du rêve (nuance).